Un petit question-réponse avec Anne David sur "Chroniques d'une branleuse"

Publié le par litteratureetfrancais

Pourquoi le choix des chroniques alors que votre projet est assez autobiographique ?

La forme de la chronique m'a permis de parler de moi certes et surtout des autres, de ne rien m'interdire. Une chronique ça doit être court, dense, et ça doit éviter de se répéter d'une fois sur l'autre. C'est une forme contraignante mais ouverte ! A vrai dire votre question pose la question de comment j'ai commencé à les écrire. Le titre s'est imposé de lui-même avant tout « projet d'écriture ». Après quelques mois de chômage passé à « veiller », à « candidater », à « subir » des entretiens, etc. J'ai commencé à écrire pour mes proches et mes amis sur Facebook quel était mon quotidien de chômeuse  donc de branleuse. J'ai été excédée par ce préjugé qui veut qu'un chômeur est un feignant, un assisté. Au fur et à mesure j'ai pioché dans des anecdotes passées que j'ai vécues mais qui dans leurs banalités ont pu être vécues par tout le monde et qui me semblaient révélatrices du monde du travail.

 

C'est donc la colère ou l'agacement du chômage qui vous a amené à écrire ?

Oui mais pas seulement. En écrivant, je me suis rendue compte que ce préjugé de branleur atteint aussi  les salariés : qu'être salarié c'est dans la tête de beaucoup « passer son temps à tenter d'en faire le moins possible ». C'est faux. Ce qui m'a amené à examiner ce présupposé qui veut que le travail soit nocif en soi. Encore une fois c'est faux. « Faire » c'est le propre de l'être humain. En revanche, un certain nombre d'idéologies, de situations pathogènes rendent le travail violent. Enfin, croire que les gens n'aspirent qu'à rester assis devant la télé c'est se tromper sur eux et sur ce qui fait l'intérêt de la vie.

 

Vous parlez beaucoup d'argent dans vos chroniques.

Certes et des paradoxes qui vont avec. Il y a le faire et il y a l'argent. Bizarrement tous les « faire » ne méritent pas salaires... Le travail artistique notamment. Les plasticiens, les commissaires d'expositions, les musiciens, les intermittents du spectacle, les dessinateurs le savent bien : ils n'ont pas un vrai métier donc le produit de leur travail n'a pas à être payé. Cet autre préjugé prend cette forme : vous avez un ami potier. Vous lui dites « Oh belle ton assiette ! Tu me la donnes ? » Et votre ami de répondre, gêné et devant s'expliquer. « Tu sais c'est mon travail je la vends. » Et vous de trouver cette réponse agaçante parce que vous vous dites que ce radin pourrait bien vous la donner à vous. Eh bien non il ne le peut pas.

 

Vous évoquez le monde de l'art...

Je parle du monde de l'art parce que je le connais bien mais aucun secteur n'échappe à ces paradoxes : quand on passe son temps à négocier les devis de l'électricien, du plombier à trouver que leur taux horaire est trop élevé. Et demandez donc à un ami avocat de relire votre courrier, à un ami médecin de regarder votre bobo. Les Chroniques d'une branleuse parlent de ces paradoxes. Ne pas vouloir d'une société d'assistés mais ne pas vouloir payer le travail. Vouloir des citoyens éduqués mais ne pas vouloir mettre d'argent dans la culture. Etc. Etc. Ce paradoxe s'aggrave dès que l'on passe hors-circuit, c'est ce qui se passe quand on est au chômage : on perd encore un peu plus la légitimité de gagner de l'argent. Votre travail peut ne pas être payé puisque vous êtes « indemnisé ».

 

Vous en parlez suivant les cas avec dérision ou ironie.

En effet, parce que finalement la situation est drôle. A bien y regarder, ces paradoxes, on a envie de les pousser à bout : de pousser cette mauvaise fois jusqu'au bout du bout de là où elle peut nous mener. C'est pourquoi je propose dans l'une des chroniques de réinventer le suffrage censitaire, que je parle de citoyen de deuxième catégorie, de sous-chômeurs pour évoquer le cas des contractuels de la fonction publique. Dans une autre je m'amuse des différences de traitement entre les hommes et les femmes et je  tire avec beaucoup de mauvaise fois la couverture du coté des femmes sous de sombres prétextes de calculs mathématiques.

Et cette dérision que vous relevez c'est parce que je m'inclue dans ces paradoxes, je n'y échappe pas. Provisoirement parfois le temps de l'écriture, j'ai l'impression d'arriver à prendre du recul, de mettre à distance ces habitudes du travail : la hiérarchie, les horaires, la charge de travail qui dévore la vie personnelle. Cependant dès lors que je réintègre la vie salariée tous mes « plus jamais » ne tiennent pas longtemps...

 

Curieusement vous ne parlez pas que du travail ou du chômage.

Bien sur. La mise à distance nécessaire dans l'écriture amène à regarder ce qui est vraiment important. A quel moment vous avez été vraiment heureux dans le travail, qu'est-ce qui vous rend heureux ? Qu'est-ce qui est important. C'est pourquoi nombre de chroniques ne parlent pas que moi : la générosité d'une connaissance que vous n'avez pas vue depuis longtemps, la bienveillance des personnes que vous croisez à ce moment particulier de votre vie. C'est pourquoi je présente les Chroniques d'une branleuse non pas comme un livre qui parle du chômage mais du bonheur, je pense que c'est leur véritable sujet. 

 

Est-ce que vous allez continuer à écrire ?

Arriver au bout d'un projet d'écriture ça donne envie de retourner dans un autre. J'ai quelques projets mais surtout envie de voir si je peux écrire quelque chose de différent, de plus éloigné de moi. Ce qui me tente beaucoup c'est les livres pour enfants. L'un des moyens, libérateurs pour achever l'écriture des chroniques, a été de ne rien s'interdire, de ne pas me censurer, d'être au plus proche de ce que je ressentais et ce que je voyais autour de moi. Ce faisant il y a eu quelques passages que je me suis beaucoup amusé à écrire et qui pour moi font écho à ce que ma mère me lisait quand j'étais petite et je voudrais retrouver ces moments de lectures et d'écriture.

 

Publié dans La parole est à vous

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