Louise Labé - Sonnet 8 (Explication de texte)
EXPLICATION DE TEXTE : LOUISE LABE SONNET 8
INTRODUCTION
Ce sonnet a été écrit par Louise Labé au XVIe siècle et publié en 1555 sous le titre Œuvres qui regroupe des types de textes différents (Sonnets, Elégies, Débat de Folie et d’Amour). Il s’agit du 8e sonnet d’un recueil en comportant 24 (si l’on compte le 1er sonnet intégralement écrit en italien). Il s’agit d’un sonnet d’inspiration pétrarquiste (inspiration que l’on rencontre fréquemment à cette époque jusque dans les écrits de la Pléiade avec Ronsard par exemple) basé sur la contradiction des sentiments amoureux.
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Il s’agit donc d’un sonnet amoureux écrit en décasyllabe sur le modèle abba abba cdc cdd. Celui-ci est écrit par une femme ce qui bouleverse les topoï établis par une littérature majoritairement masculine. Ainsi, Louise Labé, que l’on peut supposer être l’amante ici représentée, utilise un « je » lyrique grâce auquel elle exprime le désordre de son âme provoqué par l’Amour. Les quatrains décrivent la contradiction des sentiments amoureux alors que les tercets en donnent une explication. Ce sonnet mélange tous les effets de l’Amour et montre en fait le cri d’une amante qui souffre de sa situation et de l’absence de son amant.
EXPLICATION
VERS 1 :
- Le sonnet s’ouvre sur le pronom personnel sujet de P1 « je » ce qui marque la forte implication de l’amante dans le sonnet ainsi que sa grande sensibilité.
- Les termes antithétiques « vis/ meurs, brule/noye » coordonnés ou en parataxe (c’est-à-dire simplement séparés par une virgule) rendent compte de la souffrance amoureuse et de l’inconstance de l’amour. En effet, la mort par noyade apporte le froid contrairement à la mort par brulure (ce qui sera repris dans le vers suivant)
- Louise Labé s’est clairement inspirée du Canzoniere de Pétrarque comme le montre ces vers :
Sonnet 134 : « et je crains et j’espère, je brule et je suis glacé »
Sonnet 178 : « me rassure et m’effraye, me brule et puis me glace »
- Ce 1er vers explore donc déjà les différentes sentiments contradictoires que ressent l’amante.
VERS 2 :
- La métaphore de la brulure toujours combinée au froid est reprise dans ce vers. L’adjectif « extrême » montre à quel point les sensations sont amplifiées voire incontrôlables.
- Le verbe « endurer » qui signifie subir qqch de pénible combiné à l’utilisation du gérondif montre la passivité de l’amante ou plutôt son incapacité à faire autre chose que subir et que ces sentiments quoique totalement opposés sont simultanés.
VERS 3 :
- C’est la 1ere fois que le vers ne s’ouvre pas avec un pronom de 1ere personne, en effet en plus des sentiments de l’amante la « vie » (Il faut faire une diérèse afin d’avoir un décasyllabe) semble être le centre du poème tant qu’elle reste liée à l’amour
- La construction binaire en parallélisme avec la reprise de la conjonction « et » montre qu’il n’y a pas de juste milieu possible : le sentiment amoureux provoque un désordre de l’âme qu’il faut subir.
- De même, on pourrait voir dans ce vers comme dans tout le sonnet une allusion érotique au sexe masculin avec les adjectifs « molle » et « dure » voire à la relation charnelle comme au vers 13 avec une allusion à un plaisir suprême. Cela constituerait une représentation de l’amant dans le sonnet.
VERS 4 :
- La confusion s’amplifie ici.
- La définition du participe passé entremêlé résume bien le problème rencontré dans ce sonnet : mettre ensemble des choses qui ont entre elles une différence plus ou moins nette => il s’agit ici des ennuis et de la joie qui ne sont pas connus pour être vécu en même temps comme le montre leur signification. Ennuis : abattement causé par une grave peine + étymologiquement : tristesse profonde. Joie : émotion vive, limitée dans le temps, satisfaction effective ou imaginaire.
- On constate que le sens du substantif « joie » peut expliquer l’état de l’amante, en effet comme la joie ne peut pas durer elle est forcément mêlée à une tristesse qui traduirait une sorte d’appréhension.
- Pour finir l’utilisation de l’adjectif « grans » semble indiquer que l’amante connait plus de souffrance que de bonheur.
VERS 5 :
- « Tout à un coup » : précipitation du temps et intensité plus forte avec à nouveau le pronom personnel de P1 comme sujet qui est cette fois-ci répété devant chaque verbe comme pour insister sur le fait qu’il n’y a que l’amante qui souffre et qu’elle est donc au centre du poème. Avec « Tout en un coup » qui ouvre le vers 8 on a à nouveau affaire à un sonnet qui se clôt sur lui-même tel un cercle parfait.
- On retrouve ici le je lyrique car Louise Labé exprime des sentiments intimes afin de communiquer au lecteur sa propre émotion. (Lyrique : se dit de la poésie qui exprime des sentiments intimes au moyen de rythmes et d’images propres à communiquer au lecteur l’émotion du poète, et de ce qui appartient à ce genre de poésie.)
VERS 6 :
- Le « grief » (à prononcer en une seule syllabe : synérèse) est un dommage que l’on subit (on revient à nouveau à cet état passif de l’amante) et le tourment est une vive souffrance causée par l’amour.
- Il y a donc toujours contradiction dans les sentiments qu’éprouvent l’amante et cette ambivalence semble être difficile à exprimer
- La reprise du verbe « endurer » (déjà rencontré au vers 2) semble montrer que l’amante s’abandonne au plaisir et à la souffrance.
VERS 7 :
- Ce vers nous fait comprendre que c’est le bonheur qui est inconstant, il s’en va et dure.
- Cette image est également une représentation de l’amant qui ne peut être constamment présent : l’amour dure à jamais mais il s’en va (c’est-à-dire qu’il diminue) lorsque l’objet de l’amour est absent.
- Ainsi, « mon bien » peut se comprendre de deux façons : comme le bien-être de l’amante ou alors comme ce qui lui appartient c’est-à-dire le cœur de son amant.
- L’expression « à jamais » est caractéristique des poèmes amoureux parlant d’un amour éternel, seulement cela s’oppose à « tout à un coup » et « tout en un coup » qui marque des évènements ponctuels. L’éternité ne semble possible que dans le souvenir ce que confirmera le sonnet suivant.
VERS 8 :
- Dans ce vers, l’amante se compare à une fleur (métaphore à nouveau traditionnelle) qui fane et éclot en même temps (caractère universel de l’amour ?) = il y a à nouveau simultanéité entre des évènements contradictoires accentué par le « tout en un coup ».
- Louise Labé réussit donc toujours à utiliser des éléments traditionnels qu’elle détourne pour exprimer les sentiments de l’amante et non de l’amant comme cela est habituel. De fait, les poèmes amoureux sont la plupart du temps écrits par des hommes et donc traités selon leur point de vue, le fait d’avoir ici les sentiments de l’amante est donc une innovation intéressante.
= Les deux premiers quatrains se répondent : en effet le chiasme sémantique du vers 1 « je vis, je meurs » et du vers 8 « je sèche, je verdoye » montrent l’incessant recommencement de la souffrance et de la joie qui depuis le début se combinent dans les vers.
VERS 9 :
- Ce 1er vers du tercet marque une rupture comme l’indique l’adverbe « ainsi » qui débute le vers, en plus d’introduire l’idée imminente d’une explication des contradictions, il sous-entend une idée de fatalité.
- Amour, ici personnifié, apparait par sa position en sujet de la phrase. Cela montre qu’il est le seul responsable de l’état de l’amante confirmé par le pronom personnel de P1 complément du verbe « mener » : ‘amante est passive, elle subit les effets de l’amour.
- De plus, l’adverbe « inconstamment » est à commenter : il apparait pour la première fois ici dans ce vers central du sonnet alors qu’il en est le thème depuis le début. Il peut de plus avoir une double interprétation : en effet qualifie-t’il les sentiments ? ou l’amante elle-même ?
VERS 10 – 11 :
- Les deux vers fonctionnent ensemble, le vers 10 énonce une condition temporelle qui marque un décalage avec la perception sensorielle du vers 11. Le passage entre la douleur et la joie se fait inconsciemment comme le montre l’expression « sans y penser » (vers 11) qui s’oppose à « quand je pense » (vers10).
- Les sentiments sont tellement entremêlés que l’amante ne sait plus les distinguer
VERS 12 – 13 :
- Ces deux vers comme les deux précédents fonctionnent en couple mais s’opposent aux vers 10 et 11 : les premiers exprimaient la certitude (trompée) du malheur alors qu’ici il s’agit de l’expression du bonheur.
- Le poème s’articule entre les différentes contradictions et marque l’aspect cyclique des sentiments, l’amante est toujours au centre du poème avec les pronoms possessifs de P1
- De plus avec les expressions « être en haut » et « désiré heur » on voit que la joie de l’amante est extrême. Le poème amoureux s’arrêterait là avec l’idée d’un bonheur extrême qui serait supérieur au malheur que l’on peut ressentir, ce n’est pas ce que fait Louise Labé !
VERS 14 :
- Le malheur réapparait ici et clôt le sonnet dans une volonté à nouveau de faire un poème clôt sur lui-même avec le vers 1 qui s’ouvre sur la vie et donc la joie, le poème se termine sur le mot « malheur » : élément surprenant pour un sonnet amoureux !
- L’amante est toujours passive ici, le « il » qui la replonge dans le malheur représente l’amour du vers 9 mais aussi certainement l’amant encore et toujours absent dans la vie de l’amante et dans le sonnet sauf dans ces dernières rimes (rime d) seules à être masculines : les rimes étant jusque ici exclusivement masculines (exemples…) marque à nouveau l’originalité de ce sonnet écrit par une femme et qui met en avant la femme.
= Ces deux tercets s’opposent aux quatrains avec leur côté réflexifs (car Louise Labé cherche à comprendre pourquoi ses sentiments sont ainsi) comme le montre la forte présence des verbes de pensée et de croyance « je pense », « je crois ». De plus, c’est ici qu’on a clairement l’explication des contradictions des premiers quatrains : Amour provoque le désordre de l’âme.
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CONCLUSION
Louise Labé a donc utilisé en plus d’une forme traditionnelle (le sonnet), des thèmes traditionnels (la fleur, l’éternité) pour tenter d’exprimer et d’analyser les sentiments amoureux du point de vue de l’amante qui s’avère être totalement différent de celui de l’amant que l’on a l’habitude de lire.
Le sonnet 8 qui est l’un des plus connus de Louise Labé fait en fait partie d’un binôme avec le sonnet suivant. En effet, dans le sonnet 7, l’amante espérait une rencontre avec l’amant, le sonnet 8 exprime les conséquences de cet espoir et de l’amour ressenti et le sonnet 9 se présente comme une échappatoire au malheur inhérent au bonheur amoureux, échappatoire qui n’a lieu que dans le rêve, l’illusion.