Voltaire - Poème sur le désastre de Lisbonne (Explication de texte)
EXPLICATION DE TEXTE : VOLTAIRE, POEME SUR LE DESASTRE DE LISBONNE (1756)
INTRODUCTION
Voltaire, grand philosophe du XVIIIe siècle, écrit en 1756, le Poème sur le désastre de Lisbonne. Celui-ci a eu lieu un an auparavant en 1755 et a causé de nombreux dégâts matériels et humains. Il se sert de son poème, véritable tableau apocalyptique, pour critiquer l’ Optimisme de Leibniz comme le montre le sous-titre du poème « examen de cet axiome : Tout est bien », théorie qui dit que rien ne peut être aussi parfait que Dieu donc le monde n’est pas parfait mais comme Dieu est bon alors il a créé le meilleur des mondes possibles et tout mal sera forcément suivi d’un bien beaucoup plus grand. Malgré sa dimension philosophique et polémique, ce poème est tout de même un hommage plein de compassion pour les victimes du tremblement de terre.
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LECTURE
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Avec le choix de l’alexandrin, Voltaire choisit de s’inscrire dans la tradition de la tragédie : son poème en devient plus fort. En effet, le thème qu’il traite ici est tragique : une catastrophe naturelle s’abat sur des hommes qui ne peuvent pas lutter. Les rimes plates, quant à elle, relient ensemble des mots qui sont ainsi renforcés comme nous les verrons plus tard. Nous verrons donc comment à travers une description pathétique, Voltaire organise son poème en texte argumentatif pour dénoncer la pensée de Leibniz et donc l’Optimisme.
EXPLICATION
TITRE :
- Titre explicatif de ce qui va suivre : Voltaire va nous parler de ce qui s’est passé à Lisbonne et nous en dresser un tableau.
- On constate qu’il n’y a ici aucune allusion à la critique qui va suivre.
- Il faut commenter ici le substantif « désastre » qui appartient déjà au registre pathétique que va utiliser Voltaire tout au long du poème. Le mot « désastre » signifie : drame affreux qui anéantit les projets, démolit les perspectives, détruit les espérances. Nous verrons à quel point cette définition est chère à Voltaire.
VERS 1 A 3 :
- Le poème s’ouvre sur des apostrophes : « O malheureux mortels ! ô terre déplorable ! O de tous les mortels assemblage effroyable !». L’utilisation de l’interjection « ô » est typique du registre pathétique voire tragique : Voltaire cherche à inspirer de la pitié aux hommes ce qui est accentué par la présence de la syntaxe affective avec 4 points d’exclamation pour 3vers.
- Ces apostrophes s’adressent en effet au monde entier comme le montre l’emploi du substantif « mortels ». Voltaire a besoin que tout le monde se sente concerné par ce qu’il va dire pour pouvoir défendre ses théories.
- Le vers 3 semble indiquer que les hommes provoquent leurs douleurs comme le montre l’adjectif « inutiles » qui l’accompagnent. De même l’adjectif « déplorable » qui signifie dans un sens un peu vieilli « qui inspire des sentiments de douleur, de tristesse, de compassion » montre la cruauté de la vie humaine.
= > Ces premiers vers permettent à Voltaire d’interpeller le lecteur pour l’inclure dans le désastre que vivent les habitants de Lisbonne. Le pathétique et le tragique de ces vers ainsi que les apostrophes sont dignes d’une tragédie antique.
VERS 4 :
- Il s’agit du vers qui va marquer le début de la critique de l’optimisme ainsi que la thèse qu’il veut dévaloriser.
- « Philosophes trompés » est à nouveau une apostrophe mais celle-ci est plus brutale et cible des personnes précises : les philosophes trompés c’est-à-dire les philosophes de l’optimisme tel Leibniz.
- Le verbe tromper signifie donner volontairement une idée erronée sur la réalité, les philosophes (qui sont des amis de la sagesse et donc de la vérité) ont été induit en erreur par Leibniz. On constate ici que Voltaire ne semble pas les accuser seulement le fait qu’ils défendent également cette philosophie en fait des trompés mais également des trompeurs.
- « Tout est bien » qui est donc « crié » par les philosophes est leur devise. Cela signifie que même le tremblement de terre qui a détruit Lisbonne a une bonne raison s’avoir eu lieu, raison que seul Dieu connaît.
- On peut se demander si l’utilisation du verbe « crier » n’est pas déjà une critique : les philosophes crient leur devise par-dessus les cris et les pleurs des victimes.
VERS 5 A 12 :
- On a ici le début de la description des dégâts provoqués par le tremblement de terre : c’est une hypotypose (description réaliste, animée et frappante de la scène dont on veut donner une représentation imagée et comme vécue à l’instant.) En effet, l’impératif des verbes « accourez » et « contemplez », le pronom démonstratif « ces » et le présent du verbe « terminer » (vers 11) font de ce tableau un drame en cours ce qui permet à Voltaire d’amplifier le pathétique de la scène.
- Le verbe « contempler » est à commenter, il est en effet polysémique :
1er sens : Considérer avec une assiduité qui engage les sens ou l’intelligence un objet qui est ou peut-être digne d’admiration = On a effectivement ici une description qui fait appel à tous les sens (« spectacle » au vers 14 ; « cris » vers 13 ; « dévore » au vers 9,…) seulement ce n’est pas un objet digne d’admiration que ce chaos.
2e sens : en philosophie cela signifie : se livrer à la considération théorétique (qui a pour objet la théorie) des principes intelligibles au terme d’une analyse discursive. Ce sens semble plus proche de ce que demande Voltaire, il veut que les philosophes de l’optimisme observe les ravages du tremblement de terre et arrêtent alors de croire que « Tout est bien ».
- Ce passage se construit sur une succession d’accumulation anaphorique « ces débris, ces lambeaux » (vers 6), « ces femmes, ces enfants » (vers 7), « sanglants, déchirés » (vers 10) contenue dans une seule et même phrase. L’utilisation de la juxtaposition montre le chaos qui règne à Lisbonne. De plus, cette description pathétique qui cherche à provoquer la compassion du lecteur (et des philosophes ?) marque une gradation voire l’exagération : Voltaire utilise au vers 8 le substantif « marbre » qui est un matériau noble (lien avec la tragédie ?) mais il est évident que tous les bâtiments de Lisbonne n’étaient pas construits avec celui-ci. L’expression « Cent mille infortunés » au vers 9 est hyperbolique, il n’y a pas eu plus de 50 000 victimes lors de cette catastrophe mais l’exagération permet à Voltaire d’horrifier encore plus le lecteur. Les adjectifs « entassés » et « dispersés » placés à la rime (vers 7et 8) montrent l’étendue des dégâts : Lisbonne est ravagée, cela est accentué par les expressions contradictoires « l’un sur l’autre » et « sous ces marbres »
= > Ces vers 5 à 12 sont donc un tableau apocalyptique et tragique que Voltaire offre au lecteur. Nous verrons que celui-ci va servir son argumentation comme étant un exemple de ce que « Tout n’est pas bien dans le meilleur des monde »
VERS 13 A 20 :
- Les vers 13 et 14 s’ouvrent sur des rappels d’un tableau sensible : « cris » et « spectacle effrayant » qui permet à Voltaire de résumer ce qui a été représenté.
- Des vers 15 à 20 se développent une série de questions rhétoriques qui vont aider le poète à détruire la théorie de Leibniz :
Tout d’abord, le verbe introducteur au futur (repris pour les 2questions) : « direz-vous » est une première attaque que l’on pourrait paraphraser par « oserez-vous dire ». De fait, le poète veut forcer les philosophes à chercher une explication plausible à ce désastre. Il se sert de la persuasion pour faire adhérer le lecteur à sa thèse.
La première question « C’est l’effet des éternelles lois qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ? » sous-entend que leur théorie est mauvaise, si Dieu est si bon il ne peut pas édicter des lois si cruelles qui font mourir des milliers de personnes.
La seconde question, précédée par l’expression « amas de victimes » introduit une réponse qu’aurait pu donner les philosophes « Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ». Argument qu’il va contrer assez facilement avec l’image des « enfants » qui sont le symbole de l’innocence d’autant plus que ces enfants sont encore « sur le sein maternel » : Voltaire empêche ainsi les philosophes de répliquer car ils ne prouveraient alors que l’injustice de la chose.
= > Les questions rhétoriques étaient une manière pour Voltaire de donner la parole à ses adversaires tout en leur refusant un véritable droit de réponse. Voltaire ne cherche pas à convaincre (utilisation de la raison) mais bien à persuader d’où l’utilisation du registre tragique (« expirantes » vers 13, « victimes » vers 17, « mort » vers 18 ou encore « écrasés et sanglants » vers 20)
VERS 21 A 23 :
- Il s’agit de la première fois que la ville ou le désastre a eu lieu est citée comme pour la faire vivre ce qui est tout de suite annulé par l’apposition « qui n’est plus » qui finit le premier hémistiche.
- Ces vers opposent les villes de Lisbonne et de Paris tout en les comparant de façon rhétorique pour montrer l’incohérence de ce qui est arrivé ce qui est accentué par les rimes « vices » et « délices » qui semblent représenter la même idée seulement l’une est positive alors que l’autre est péjorative.
- L’adjectif « plongés » (vers 22) accentue l’horreur du lecteur car il fait référence au raz-de-marée qui a suivi le tremblement de terre : pendant qu’à Lisbonne des gens se noient, à Paris on prend du plaisir ce qui est confirmé par le vers suivant « Lisbonne est abimée, et l’on danse à Paris » : la structure « et l’on » pourrait être remplacée par « alors qu’on » et serait alors accusatrice. Tout l’art de Voltaire réside dans l’implicite voire l’ironie.
VERS 24 A 28 :
- Ici Voltaire veut montrer qu’il est facile d’être cohérent quand on n’est pas frappé par le malheur. Ainsi il dit des philosophes qui sont en paix qu’ils sont tranquilles et intrépides c’est-à-dire qu’ils ne tremblent pas devant le danger.
- L’opposition entre les pronoms « vous » et « nous » montrent la différence qu’il y a avec les philosophes car eux ne sont compatissants que « quand ils sentent les coups » (vers 27).
- Avec le « nous » qui englobe le poète et surement le lecteur pour créer une connivence, Voltaire apparait enfin dans le poème, il se montre tout le contraire des philosophes car lui « pleure » dès le début.
VERS 29 A 30 :
- « Croyez-moi » : le poète s’implique cette fois totalement dans son argumentation et demande une adhésion complète car contrairement à ce qu’il dit des philosophes précédemment : lui est sincère (« légitimes ») et bouleversé (« ma plainte ») dès que la terre ouvre ses abimes. L’abime étant dans le contexte religieux l’enfer en tant que lieu souterrain réservé aux damnés et aux morts.
- Voltaire n’a besoin que de deux vers pour exprimer sa peine alors que pour amener les philosophes à la compassion il a développé 5vers ce qui incite à nouveau le lecteur à adhérer à sa théorie.
VERS 31 A 35 :
- Les vers 31 et 32 ont la même structure : un énoncé est italique et un présentatif qui le développe.
« Un jour tout sera bien, voilà notre espérance » : L’espérance est une disposition de l’âme qui porte l’homme à considérer dans l’avenir un bien important qu’il désire et qu’il croit pouvoir se réaliser. Ainsi cette définition, sous-entend qu’un jour, tout ira bien sur terre. Mais la polysémie du mot rend cet énoncé ambigu, en effet dans la religion chrétienne l’espérance est une vertu surnaturelle par laquelle les croyants attendent de Dieu sa grâce en ce monde et la gloire éternelle dans l’autre. Voltaire sous-entend-il que tout ne peut être bien qu’au paradis ?
« Tout est bien aujourd’hui, voilà notre illusion » remet en question l’axiome optimiste : aujourd’hui ce n’est pas le cas, il ne s’agit que d’une illusion, d’une perception erronée de la réalité ce qui rappelle le fait que les philosophes sont « trompés » au vers 4.
- Le vers 33 est en fait une antithèse : les sages sont les philosophes qui étaient trompés au vers 4 et qui trompent ici. Le pronom personnel complément montre que Voltaire a connu cette illusion mais l’imparfait indique que c’est fini cela sera détaillé dans les vers 36 et 37.
- De même, il confirme sa confiance en Dieu et se dit soumis, il ne s’élèvera pas contre la Providence mais cela n’empêche ni les soupirs ni la souffrance. Il ne critique pas Dieu mais ceux qui pensent que Dieu a laissé le mal sur terre. (vers 34-35)
VERS 36 A 37 :
- Ces vers introduisent l’explication de ce qui était dit au vers 33. En effet, Voltaire a, dans sa jeunesse été crédule (d’où le fait qu’il a été trompé) et a cru à la philosophie de Leibniz. Ainsi dans une des Lettres philosophiques sur le bonheur sur terre, il a écrit : « Penser que la terre, les hommes et les animaux sont ce qu’ils doivent être dans l’ordre de la Providence est, je crois, d’un homme sage. »
- « les séduisantes lois » dont il parle sont-elles celles de la providence ?
VERS 38 A 41 :
- « D’autres temps, d’autres mœurs » : indique que le temps est passé ce qui est confirmé par « la vieillesse » qui lui a donné de la sagesse sens que l’on peut donner à « instruit » (qui a acquis une somme de connaissances)
- Le verbe « éclairer » du vers 40 fait référence au siècle des Lumières : il faut sortir de « l’épaisse nuit » pour bien penser (l’épaisse nuit étant sa jeunesse). On peut également y voir une référence à la caverne de Platon : il faut sortir des profondeurs pour accéder à la lumière et donc à la connaissance.
VERS 42 A 46 :
- Voltaire introduit ici une dernière leçon de morale qu’il place ailleurs qu’en France pour en montrer l’universalité. Ainsi, le calife (qui est un souverain musulman) veut avant sa mort rentre à Dieu ce qu’il n’a pas. Il fait alors une énumération de ce qui n’est pas au paradis (vers 46).
VERS 47 :
- Le dernier vers s’ouvre sur un « Mais » qui ne marque pas une réelle opposition mais plutôt combiné avec le « encore » un ajout. Pour Voltaire, s’il n’y a plus de maux sur terre, l’espérance n’est plus alors nécessaire. Elle doit être là où les maux se trouvent.
- On peut y voir une dernière référence mythologique à la boite de Pandore qui avait laissé échapper tous les maux de la terre mais qui avait refermé la boite sur l’espoir.
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CONCLUSION
Voltaire réussit ici un coup de maître en plus d’exprimer sa compassion pour les victimes du tremblement de terre, il remet en cause toute la philosophie de Leibniz et montre que le seul élément vraiment positif dans le monde c’est l’espérance, mot qui termine d’ailleurs son poème.
Cette catastrophe naturelle a bouleversé les philosophes du XVIIIe siècle même s’ils ne sont pas tous aussi pessimistes que l’est Voltaire, cela provoquera d’ailleurs un vif débat avec Jean-Jacques Rousseau qui répondra aux attaques de Voltaire sur l‘Optimisme dans sa Lettre sur la Providence publiée la même année. Finalement 3ans plus tard, en 1759, Voltaire publiera Candide ou l’optimisme dans lequel il continuera et accentuera sa critique allant jusqu’à créer un représentant de Leibniz : Pangloss et la victime de sa philosophie : Candide